Cette analyse détaillée du score « Rogue One » de Michael Giacchino contient des liens YouTube permettant un accès facile aux extraits mentionnés. Les extraits de la bande originale du film de Gareth Edwards proviennent tous de la chaîne officielle DisneyMusicVEVO. Si ces liens venaient à disparaître, les références précises de chaque extrait ont été mentionnées afin de les retrouver sur le CD.
En décembre 2016, la communauté Star Wars était en ébullition. Nous avons découvert, pour certains dès le 14 au matin, le premier spin-off de la saga. Un scénario et une histoire qui se tiennent de bout en bout, des acteurs au diapason et un retour aux sources du mythe qui a ravi la plupart des fans et laissé une bonne impression à une critique souvent rompue aux remarques acerbes quand il s’agit de l’univers créé par George Lucas.
« Rogue One » nous a apporté son lot de surprises et d’exploits techniques en recréant un Tarkin plus vrai que nature tel qu’il apparaît dans « Un Nouvel Espoir » (1977), et peut-être plus émouvant encore, une Leia Organa vêtue de blanc et coiffée de ses éternels macarons dans le dernier plan du film. Nous n’imaginions pas que moins de deux semaines plus tard, Carrie Fisher nous quitterait tragiquement, donnant rétrospectivement à ces dernières images de « Rogue One » une valeur d’hommage symbolique. Carrie a rejoint les étoiles, suivie de près par sa mère, Debbie Reynolds. En 1977, John Williams avait su, en quelques notes, composer un thème sensible et beau qui restera gravé à tout jamais dans nos cœurs et nos mémoires.
De John Williams à Michael Giacchino
Un Star Wars sans John Williams ? J’avoue que l’idée ne m’enchantait pas vraiment à l’origine. Etait-ce seulement possible qu’un autre puisse s’approprier cet univers musical d’une richesse infinie et retrouve, sans les paraphraser, ce style et cette patte instrumentale si caractéristiques du compositeur américain ?
En mars 2015, nous apprenions que le français Alexandre Desplat allait composer la bande originale de « Rogue One ». Avec Gareth Edwards, il avait déjà travaillé sur « Godzilla » et avait remporté un prix lors de la 87ème cérémonie des Oscars pour la musique du film « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson. Ayant pris le relai, entre autre, de Williams sur la saga Harry Potter et chouchou d’Hollywood, Desplat semblait être un choix prudent mais logique, garant d’une certaine continuité.
La suite, on la connaît : retards de production, nombreux reshoots pendant l’été 2016, Gareth Edwards en partie remplacé en post-production, autant d’éléments qui ont eu raison de la participation du compositeur français, engagé sur d’autres projets si l’on en croit la communication officielle (bien que cela ressemble plus à un limogeage en règle suite à des désaccords artistiques et/ou financiers).
Ce ne serait d’ailleurs pas une première à Hollywood, citons par exemple Lalo Schifrin évincé de « l’Exorciste », Alan Silvestri de « Pirates des Caraïbes », ou encore Howard Shore viré de « King Kong » par Peter Jackson qui lui a finalement préféré James Newton Howard malgré une collaboration fructueuse sur la trilogie du Seigneur des Anneaux. Et si l’on parle des bandes originales composées et rejetées au dernier moment, l’on se souviendra que le légendaire score d’Alex North composé pour le « 2001 » de Stanley Kubrick en 1968 avait été purement et simplement refusé par le réalisateur au profit d’œuvres classiques existantes, de Richard Strauss, Johann Strauss (Ah, la fameuse valse du Beau Danube bleu sur la wheel space station…) ou du hongrois György Ligeti.
Le studio a rapidement trouvé le remplaçant d’Alexandre Desplat en la personne de Michael Giacchino, qui a déjà œuvré chez Disney. Compositeur phare de Pixar (« Les Indestructibles », « Ratatouille », « Vice Versa »…), il a remporté un Oscar pour « Là-Haut » et a été fortement influencé par le travail de John Williams. Il a aussi succédé à certains illustres compositeurs de la saga Star Trek, Jerry Goldsmith en tête, sur les récents reboots signés J. J. Abrams. C’est un compositeur plutôt prolifique (« Mission Impossible 3 », « Spider-Man: Homecoming », « L’Aube de la Planète des Singes »), capable de relever le défi après le départ de Desplat officialisé en septembre 2016.
Une bande originale écrite en un mois
Giacchino a donc du composer « Rogue One » en un temps record. Dans les interviews qu’il a accordés, il raconte qu’il était en train de prévoir ses prochaines vacances au moment où il a été contacté. Une proposition qui, avouons-le, a de quoi faire réfléchir et repousser le farniente à plus tard… « À l’époque, ça me laissait littéralement quatre semaines et demi pour l’écrire », explique-t-il.
« Pour Lawrence d’Arabie, on m’a donné six semaines pour écrire deux heures de musique. Pour y arriver, j’ai dû travailler cinq heures, dormir vingt minutes et retravailler cinq heures, cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre », écrivait Maurice Jarre à propos du chef d’œuvre de David Lean en 1962. Avec les techniques actuelles, composer un tel score en quatre semaines est tout à fait possible, mais dans des conditions loin d’être optimales, surtout pour un film aussi attendu. Michael Giacchino s’est donc immergé dans le film et a établi un planning de travail précis lui permettant d’avoir du temps pour revenir sur les détails avant de passer à l’orchestration, étape durant laquelle interviennent généralement des orchestrateurs et arrangeurs extérieurs.
Signalons qu’Alexandre Desplat avait déjà composé plusieurs thèmes et en était apparemment à un stade relativement avancé de la composition au moment de son départ. Michael Giacchino affirme d’ailleurs qu’il n’a pas voulu connaître, au début, les raisons de ce départ pour se concentrer uniquement sur sa tâche. Il dit également ne pas avoir écouté ce que Desplat avait déjà écrit pour le film et faire comme s’il était le premier à y travailler.
De la nouveauté dans la continuité
La première impression évoquée par certains spectateurs à la sortie des salles est celle d’une partition sans thèmes majeurs et sans grand relief.
Mon avis est qu’il faut largement nuancer ce premier jugement, nous verrons pourquoi, mais disons-le dès le départ : la partition que nous livre Giacchino n’a évidemment pas la saveur et la richesse instrumentale auxquelles John Williams nous a habitués, sur Star Wars comme sur ses autres œuvres. De même, le délai très contraint ne peut pas être la seule explication à ce que certains ont vu comme un manque d’inspiration ou un recyclage de thèmes à la « manière » de Williams.
Malgré cela, il serait malhonnête de le juger uniquement en le comparant à son illustre prédécesseur. À mon sens, Michael Giacchino a non seulement relevé le défi très honorablement, mais mieux encore, il nous offre certains moments réellement inspirés, distillant à petit dose les motifs orchestraux « starwarsiens » tout en créant un son différent et une atmosphère véritablement prenante. Le score final vaut largement l’écoute, même la réécoute. Bien entendu, on ne le mettra pas face à un « Empire contre-attaque » ou à une « Menace fantôme », véritables mètres-étalons dans leur trilogie respective (comparons ce qui est comparable), mais il trouvera sans honte sa place sur nos étagères.
Le CD contient 21 pistes, les 18 premières sont classées dans l’ordre chronologique du film et sont suivies de trois suites : « Jyn Erso & Hope Suite », « The Imperial Suite » et « Guardians of the Whills Suite ». On regrette l’absence d’un « Finale & End Credits » digne de ce nom, une tradition respectée dans tous les précédents films de Star Wars. Car si l’absence du « Main Theme » introductif est un choix assumé (et même plutôt judicieux) de la production, celle de la musique du final marquant la transition vers « Un Nouvel Espoir » l’est beaucoup moins.
Pour l’anecdote, dans le livret du CD, outre la liste des musiciens et les remerciements d’usage dans lesquels le compositeur rend un bel hommage à John Williams, on trouve une liste des pistes avec un nom alternatif donné par Giacchino et son équipe, coutumiers de cette pratique. La piste #1 « He’s here for Us » devient « A Krennic Condition », la piste #5 « When has become now » devient « That new Death Star Smell », et la sérieuse « Guardians of the Whills Suite » est renommée « Live and let Jedi ». Les fans du plus célèbre espion britannique apprécieront…
C’est également la première fois que la musique d’un film de Star Wars n’est pas enregistrée par un orchestre symphonique de renommée mondiale. Pour les deux trilogies, John Williams et George Lucas s’étaient offert les services prestigieux de l’orchestre symphonique de Londres (LSO). Cet orchestre a depuis longtemps acquis une solide réputation dans le domaine de la musique de film. Williams avait déjà enregistré avec le LSO en 1970 pour « Un violon sur le toit » ou encore « Les Dents de la mer » en 1975. En 1976, le LSO est engagé pour l’enregistrement de la mythique partition du premier Star Wars et la tradition se perpétue jusqu’en 2005 avec « La revanche des Sith ». En 2015, pour « Le Réveil de la Force », c’est le Los Angeles Philharmonic qui prend le relai pour des raisons de proximité géographique et de commodité pour Williams qui ne se déplace plus en Europe qu’à de rares occasions. Pour « Rogue One », on a fait appel à un orchestre de studio, ce qui est toutefois loin d’être déshonorant. Ces orchestres sont souvent composés de très bons musiciens spécialisés dans la production cinématographique et télévisuelle, même si on n’y retrouve pas la superbe des pupitres de cordes ou de cuivres des plus grands orchestres. Ce ressenti à l’écoute du CD est amplifié par une prise de son plus étouffée et beaucoup moins ample que celles réalisées dans les locaux d’Abbey Road pour la prélogie.
Quelques jours avant la sortie de « Rogue One », le site starwars.com mettait en ligne sur sa chaîne YouTube la vidéo « Rogue One – Scoring Highlights » qui montrait quelques minutes des sessions d’enregistrement. On y découvrait tout de même le style adopté par Michael Giacchino pour ce film, montrant par la même occasion la volonté de Lucasfilm et Disney de s’inscrire dans la continuité.
Un équilibre bien difficile à atteindre pour le compositeur qui devait respecter un cahier des charges très précis (dans la tonalité générale comme dans le respect des archétypes sonores de Williams) tout en renouvelant cet héritage et en inaugurant la série des spin-off. Comprendre : sortir des sentiers battus, mais des sentiers largement balisés et dangereux pour le néophyte souhaitant quand même s’y aventurer…
Michael Giacchino’s « Rogue One » : une analyse détaillée
Quelles influences retrouve-t-on dans la musique de « Rogue One » ? La première vient sans doute de la propre expérience de Michael Giacchino sur la musique de jeux célèbres comme « Medal of Honor » et « Call of Duty ». Le compositeur l’assume totalement et assure qu’il s’est inspiré entre autre de leur ambiance guerrière et d’infiltration. Au-delà des motifs et des thèmes de John Williams, il a aussi emprunté les propres influences de son prédécesseur comme Gustav Holst (et son célèbre opus « Les Planètes »), essayant, comme il l’explique lui-même, d’honorer le langage vernaculaire élaboré par Williams et Lucas (qui s’était, lui, fortement inspiré des serials américains comme « Flash Gordon »). Giacchino explique que le frère de John Williams, Don Williams, l’a même aidé à gérer l’utilisation des timbales pour coller au plus près au style si caractéristique que nous connaissons.
« Rogue One » s’ouvre brusquement par un plan spatial, propulsant le spectateur directement dans l’action. On suit alors l’arrivée du directeur Krennic sur Lah’mu alors qu’il vient chercher Galen Erso.
« He’s here for Us » (track #1)
« He’s here for Us » commence par une violente note discordante et glissée, martelée par l’orchestre. Je dois dire que j’ai beaucoup aimé l’effet produit dans le film. Juste après cette note qui tranche avec la première du « Main Theme » de Williams, l’utilisation de carillons, cloches tubulaires, crotales et glockenspiel donne un côté aérien qui nous semble familier, une sorte d’apesanteur de quelques secondes bientôt perturbée par une salve de timbales et par les cordes graves qui entament un ostinato servant d’assise à un nouveau thème impérial joué par les cuivres. Remarquez certaines fulgurances plutôt inspirées, comme à 0’53’’.
Cette séquence d’ouverture introduit le personnage de Jyn Erso enfant et le moment où son père, Galen, est emmené de force par Krennic.
Dans « A Long Ride Ahead », la traque de Jyn Erso sur Lah’mu se poursuit après la capture de son père et le meurtre de sa mère (on retrouve alors dans la musique les accents de la série « Lost »), avant de laisser la place au thème qui sera associé à Jyn (à partir de 2’38’’) puis aux notes illustrant le titre du film marquant la fin de la séquence d’ouverture (à 3’36’’).
« A Long Ride Ahead » (track #2)
Passons sur « Wobani Imperial Labor Camp » (track #3), oubliable, et sur « Trust goes both Ways » (track #4) qui s’ouvre sur le thème de la « Jyn Erso & Hope Suite » (track #19) dont nous reparlerons un peu plus loin.
Un des thèmes marquants de « Rogue One » est la nouvelle déclinaison de la marche impériale. « When has Become Now » (track #5) introduit ce nouveau thème de l’Empire, volontiers martial et plutôt bien décliné en variations et différentes orchestrations tout au long du film. Dans « The Imperial Suite » (track #20), on peut l’entendre sous toutes les coutures avec un orchestre à pleine puissance.
En voici le motif principal aux cuivres :
« The Imperial Suite » (track #20)
S’il n’est pas aussi réussi que la marche créée par John Williams 26 ans auparavant (dont on retrouvera les réminiscences savoureuses dans les épisodes I, II et III), c’est un thème militaire plutôt efficace et réussi. Dans la prélogie, on retrouvait régulièrement (et parfois bien caché) le motif impérial (ou de Vador) savamment distillé par un John Williams qui montrait alors sa maestria dans la gestion des Leitmotiv, préparant l’oreille du spectateur afin que l’arrivée du thème dans L’« Empire contre-attaque » constitue un aboutissement logique.
Pour « Rogue One », effet de nouveauté oblige, et afin de ne pas casser cette progression qui se met en place dès l’épisode I, Michael Giacchino a composé une nouvelle marche, ce qui ne l’empêche pas de citer le motif de Williams à plusieurs reprises :
- Quand Krennic part à la rencontre de Vador sur Mustafar : écoutez « Krennic’s Aspirations » (track #10) de 2’05’’ à 2’28’’ (où le motif apparaît en entier), à 3’30’’ de manière plus diffuse puis à 4’00’’ dans son orchestration originale de 1980 (petit frisson garanti).
- Dans la toute dernière scène du film, durant laquelle Vador attaque violemment les rebelles : écoutez « Hope » (track #18) de 0’50’’ à 1’01’’. Dans cette séquence, il s’agit d’une imitation du thème de Vador, quelque peu discutable d’ailleurs mais je vous laisse juger par vous-même…
« Krennic’s Aspirations » (track #10)
« Hope » (track #18)
Amusez-vous également à repérer la reprise de certains motifs composés par Williams pour l’étoile noire dans « Un Nouvel Espoir » :
- Au début et à la fin de « When has Become Now » (track #5), à 0’15’’ et 1’48’’, où l’on retrouve très nettement le motif utilisé pour les plans d’approche de la Death Star dans l’épisode IV. « When has Become Now » correspond à la première scène entre Krennic et Tarkin. La tension créée est intéressante (remarquez l’avertissement glaçant des cuivres à 1’29’’) ; le motif vient introduire et conclure cet échange avec l’étoile noire en background.
- Dans « Krennic’s Aspirations » (track #10), de 1’36’’ à 1’50’’, où l’on peut reconnaître un motif souvent utilisé dans les scènes d’action se déroulant dans les couloirs de l’étoile noire (dans la seconde partie d’« Un Nouvel Espoir »).
L’arrivée sur Jedha et l’action qui se déroule dans ses rues sont très bien menées. « Jedha City Ambush » (track #7) est une synthèse intéressante des styles Giacchino et Williams (que l’on retrouve ici clairement dans l’utilisation des timbales ou dans les fulgurances de l’orchestre à partir de 1’56’’ aux sonorités très « Indiana Jones »).
A ce stade, une comparaison attentive entre le film et la bande originale nous montre qu’une quantité non négligeable de musique présente dans le film ne l’est pas sur le CD qui privilégie une approche par thèmes et néglige les thèmes alternatifs ou les transitions, pourtant essentielles dans les films de Star Wars. Ainsi, la musique d’introduction de Yavin IV et de l’Alliance est absente du CD, tout comme le thème de la force (thème de Luke dans l’épisode IV) au moment de la première apparition de Bail Organa aux côtés de Mon Mothma. De même, « Approach to Eadu », thème très intéressant et présenté dans la vidéo « Rogue One – Scoring Highlights », est complètement absent de la bande originale…
On pourrait citer d’autres exemples, mais le score dans son montage cinéma apparaît plus contrasté et plus complet que ce qui nous est proposé dans le CD. Les « BOphiles » que nous sommes peuvent donc espérer qu’une version intégrale telle que l’édition 2 CD (The Ultimate Edition) de « La Menace fantôme » verra le jour. On peut toujours rêver !
« Star-Dust » (track #8) correspond au moment où Jyn découvre le message envoyé par son père. Pour cette scène poignante (l’émotion communicative de Felicity Jones) et très inspirée (le montage alterné avec la préparation du tir sur Jedha City), Michael Giacchino a composé quelque chose de sobre et doux, utilisant le piano pour évoquer l’amour de Galen pour sa « constellation » et la prise de conscience de Jyn, avant que les cordes en tremolos nous rappellent l’imminence de la menace. Là encore, Giacchino connaît bien son Williams : notez la référence discrète (mais réelle) à travers le motif de quatre notes de flûtes, à 0’06’’, 0’27’’ et à 0’33’’, que l’on retrouve presque tel quel au début de « The Hologram/Binary Sunset » (track #6) de l’épisode IV…
« Star-Dust » (track #8)
« The Hologram/Binary Sunset (Medley) » (ANH – track #6)
Les 40 premières secondes de « Star-Dust » peuvent vous sembler assez familières. Si c’est le cas, c’est que vous avez repéré une constante musicale souvent utilisée pour illustrer le mystère, l’espace, la tension ou les trois à la fois.
Les grands compositeurs de musique de film connaissent leurs classiques, étudiés pendant leur formation musicale. Nous avons précédemment évoqué le britannique Gustav Holst et l’œuvre qui l’a rendu célèbre, « Les Planètes » (« The Planets »). Composée au cours de la Première Guerre mondiale, cette pièce pour grand orchestre contient 7 parties pour les 7 planètes du système solaire connues à cette époque (Pluton n’a été découverte qu’en 1930). Il faut absolument connaître cette œuvre qui fait partie des sources d’inspiration majeures de John Williams (et d’autres).
Ecoutez « Mars, Bringer of War » (« Mars, celui qui apporte la guerre »), en particulier à partir de 6’45’’, vous comprendrez à quel point Williams a été influencé par les effets de masse de cette partition quand il a composé son score pour « Star Wars » en 1977…
« The Planets – Mars, Bringer of War », Chicago Symphony Orchestra, James Levine (dir.)
Dans « Neptune the Mystic », les instruments semblent errer dans le vide sans qu’aucun thème défini, comme dans les autres mouvements, ne prenne forme. Le chœur de femmes hors-scène qui apparaît dans la section centrale renforce le côté mystique et céleste. Les 4 premières minutes sont basées sur la répétition obsessionnelle de deux notes contigües dont l’orchestration s’épaissit progressivement. Le célesta et la harpe viennent renforcer la magie et le mystère de l’orchestre qui semble véritablement placé en orbite…
Une atmosphère qui a largement enrichi le vocabulaire musical utilisé par John Williams, et de fait par Michael Giacchino ici, qui en reprend les codes dans les 40 premières secondes de « Star-Dust ». C’est un bel exemple de transmission d’un langage musical de compositeurs en compositeurs. Je vous propose donc d’écouter « Neptune the Mystic » de Holst, puis de réécouter le début de « Star-Dust » dans « Rogue One » :
« The Planets – Neptune, the Mystic », Chicago Symphony Orchestra, James Levine (dir.)
Un autre exemple tout à fait parlant est celui de James Horner dans « Apollo 13 ». Ecoutez l’excellent « Docking », dans lequel on retrouve ce système à deux notes répété cycliquement, amplifié progressivement et agrémenté de thèmes secondaires, l’effet est saisissant…
« Docking » (Apollo 13)
« Confrontation on Eadu » (track #9) fait partie des réussites de Giacchino pour « Rogue One », et je crois pouvoir dire qu’il s’agit de mon coup de cœur sur cette bande originale. Il ne s’agit pas d’un thème immédiatement reconnaissable écrit à la manière d’une suite mais plutôt d’une succession d’ambiances telles qu’on les trouve souvent dans Star Wars et qui font toute la richesse de son substrat musical. « Confrontation on Eadu » correspond globalement à la progression du groupe mené par Cassian Andor et au raid éclair des rebelles sur Eadu, alors que Krennic cherche à confondre le traitre qui a envoyé un pilote sur Jedha. Le montage musical du film semble légèrement différent mais l’essentiel est là :
« Confrontation on Eadu » (track #9)
La tension monte crescendo, on y retrouve les ostinatos, les notes « mitraillés » des cuivres, c’est aussi un morceau très contrasté qui colle au plus près à l’action qui se déroule sur plusieurs plans. A deux reprises entre 3’52’’ à 4’13’’, on retrouve un motif typique des scènes d’action de l’étoile noire dans « Un Nouvel Espoir ». A 4’50’’, l’orchestre s’emballe dans des envolées lyriques avant que la pulsation ne soit brusquement interrompue, à 5’07’’, par des cuivres menaçants. Ces intermèdes sont vraiment superbes, avec des changements de tonalité particulièrement inspirés – écouter entre 5’35’’ et 5’43’’). Pour les retrouvailles de Galen et Jyn, l’orchestre trouve les notes justes à partir de 6’00’’ et enchaine sur le thème de Jyn Erso (à partir de 6’57’’), dont voici la retranscription :
Ce thème en mode mineur associé à Jyn Erso est toutefois assez changeant et est utilisé par le compositeur à plusieurs reprises : on le retrouve notamment dans « Jedha Arrival », « Rebellions Are Built on Hope » et « Jyn Erso & Hope Suite ».
« Rebellions Are Built on Hope » (track #11) remplit correctement son rôle d’illustration de la réunion des rebelles autour de Mon Mothma, sans autre intérêt particulier. De facture très classique, l’orchestre s’éclaire à 1’09’’ avec un joli thème joué par les cors (le même que l’on trouve à la fin de « A Long Ride Ahead ») symbolisant ce « nouvel espoir » en train d’émerger.
Avec « Rogue One » (track #12) et « Cargo Shuttle SW-0608 » (track #13), Giacchino colle de plus en plus aux archétypes musicaux de John Williams.
« Rogue One » rappelle le « Scherzo for X-Wings » du « Réveil de la Force ». On y retrouve un allant similaire et une certaine urgence, avec un rythme ostinato. La comparaison s’arrête là tant le thème composé par Williams est une réussite. On trouvera également de fortes ressemblances de rythme et d’atmosphère avec « The Battle of Hoth (Medley) » de l’épisode V (écouter entre 3’33’’ et 4’00’), ou avec le thème « Roy and Gillian on the Road » de « Rencontres du Troisième Type », que je vous proposer d’écouter :
« Rogue One » (track #12)
« Scherzo for X-Wings » (TFA)
« The Battle of Hoth (Medley) » (TESB)
« Roy and Gillian on the Road » (Rencontres du Troisième Type)
« Cargo Shuttle SW-0608 » (track #13) est également une belle réussite et nous replonge dans l’ambiance des préparatifs de bataille, dans « La Menace fantôme » et « Le Retour du Jedi ». A partir de 0’58’’, Michael Giacchino prend visiblement plaisir à rappeler l’excellent « Alliance Assembly » de l’épisode VI ou les harmonies des « Wars Plans » de l’épisode I. On retrouve aussi, logiquement, l’ambiance d’infiltration de « Shuttle Tydirium Approaches Endor » dans « Le Retour du Jedi » (écouter à partir de 3’00’’).
« Cargo Shuttle SW-0608 » (track #13)
« Alliance Assembly » (ROTJ)
« War Plans » (TPM)
« Shuttle Tydirium Approaches Endor » (ROTJ)
Dans « AT-ACT Assault » (track#15), la bataille de Scarif fait rage au sol et dans l’espace. Très excitant, ce thème mélange habilement de la musique « de bataille » style Williams et des sonorités rappelant plus Star Trek (oui, j’ose !) dont les canons ont été posés par Jerry Goldsmith dès 1979 (écoutez à partir de 0’36’’ et les 4 notes entre 0’38’’ et 0’42’’ prolongées par des violons obsessionnels). Et à 1’25’’, moment des plus jouissifs, arrive soudainement le célèbre motif de bataille entendu pour la première fois sur la poursuite du Faucon par des TIE dans l’épisode IV, ici placé pile au moment où la flotte rebelle émerge de l’hyperespace au-dessus de Scarif. Un grand moment de cinéma !
« AT-ACT Assault » (track#15)
« The Master Switch » (track #16) alterne entre tension et héroïsme. Un chœur, qui apparaît pour la première fois de toute la bande originale à 2’18’’, renforce le côté héroïque et le sacrifice du groupe de rebelles. Un thème de facture classique mais efficace. « Your Father Would Be Proud » (track #17) fonctionne de manière similaire. A 1’21’’, les violons citent discrètement l’accompagnement du thème de Leia (la transmission du flambeau est assurée) avant le retour du thème associé à Jyn auquel s’ajoute le chœur.
« The Master Switch » (track #16)
« Your Father Would Be Proud » (track #17)
La même note qui conclut « Your Father Would Be Proud » est aussi celle qui introduit « Hope » (track#18), dernière piste chronologique présente sur le CD avant les trois suites. C’est évidemment un moment clé du film, durant lequel Vador déploie une violence jamais vue auparavant afin de récupérer les plans transmis par Jyn et Cassian, devant l’entrée du Tantive IV. Cette scène courte mais intense, au cours de laquelle les rebelles de la corvette « plénipotentiaire » se sacrifient pour protéger l’unique espoir de vaincre l’Empire, prend une tonalité héroïque quasi-religieuse.
« Hope » (track #18)
Les 40 premières secondes renvoient directement à « La Revanche des Sith », quand Anakin assassine les leaders séparatistes sur Mustafar avant que Palpatine n’annonce la « réorganisation de la République » en empire galactique, moment que l’on retrouve dans le morceau « Anakin’s Dark Deeds » de l’épisode III entre 0’33’’ et 2’15’’ :
« Anakin’s Dark Deeds » (ROTS)
« Hope » est une succession de thèmes courts : après le passage particulièrement sombre que l’on vient d’évoquer, une courte transition amène au rappel de la marche impériale de John Williams, ici légèrement transformée (le moment où Vador regarde le Tantive s’échapper sabre allumé). Puis arrive le motif correspondant au Tantive IV entendu au début d’« Un Nouvel Espoir » avant celui de la force, alors que Leia apparait à l’écran sous les traits de la Carrie Fisher de 1977…
Laissé en suspend avant les End Credits (absents du CD), le motif appelle sa résolution : par l’attente qu’elle génère, la musique donne alors l’irrépressible envie d’enchainer immédiatement sur « Un Nouvel Espoir ». La boucle est bouclée !
Les trois pistes présentes en fin de CD reprennent sous forme de « suites » les grands thèmes composés par Michael Giacchino. Nous les avons déjà évoquées à plusieurs reprises, mais voici quelques remarques complémentaires :
« Jyn Erso & Hope Suite » décline le thème de Jyn avant le retour du « Hope Theme » à partir de 3’16’’, entendu pour la première fois sur le titre « Rogue One », à la fin de la séquence d’introduction (référence CD : fin de « A Long Ride Ahead » – track #2). Ce motif reprend le même écart de cinquième que le « Main Theme » de John Williams (entre les deux premières notes) mais renverse les notes 3 à 5 :
« Main Theme » (version Williams) : 1-5-4-3-2–
« Hope Theme » (version Giacchino) : 1-5-2-3-4–
Ce motif est joué au violoncelle à 3’16” puis par tout l’orchestre à 3’55” dans une tonalité différente.
« Jyn Erso & Hope Suite » (track #19)
Enfin, « Guardians of the Whills Suite » met en exergue un beau thème assez peu présent dans le film. Il évoque l’ordre religieux présent sur Jedha auquel le personnage de Chirrut Îmwe appartient. Puisque ces gardiens sont les protecteurs de l’un des temples Jedi où l’on trouve les cristaux Kyber, certaines analyses prétendent que le motif de ce thème contient en fait les mêmes notes que le thème de la force (celui de Luke devant le coucher des soleils de Tatooine) mais organisées différemment. Voici la retranscription de ce thème :
En guise de conclusion…
L’analyse détaillée a montré que ce score est bien plus intéressant qu’il n’y paraît d’un premier abord. A chaque écoute, il gagne en épaisseur et contrairement à ce que certains fans ou sites spécialisés ont un peu vite conclu, la bande originale de « Rogue One » tient la route et s’écoute avec plaisir même hors du contexte du film. Il est évident que Michael Giacchino a fait un effort important pour coller au style, aux ambiances et aux orchestrations de John Williams en en citant certains motifs immédiatement reconnaissables, et ce sans tomber dans la caricature. De ce point de vue, aucune hésitation pour moi, le défi plus compliqué qu’on ne le croit – surtout dans le temps imparti – est relevé avec un certain brio. Il ne reste plus qu’à courir revoir le film qui sort ces jours-ci en version dématérialisée et très bientôt en Blu-ray, pour notre plus grand plaisir !